Colloque « En route vers Lisbonne »

« La stratégie de Lisbonne : crash ou rebond ? », pouvait-on lire récemment… Le succès du Colloque « En route vers Lisbonne » qui s’est tenu les 9 et 10 novembre, indique clairement qu’il s’agit d’un rebond: plus de 300 personnes ont assisté à cet événement majeur qui a rassemblé des intervenants internationaux de premier plan.

Lancée en 2000, la stratégie de Lisbonne qui a pour objectif de faire de l'Europe « l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale » n’a pas su convaincre. En 2005, sous présidence luxembourgeoise, une nouvelle impulsion est donnée à la Stratégie de Lisbonne.

Sous le patronage du Ministre de l’Economie et du Commerce Extérieur (MECO), le Service central de la statistique et des études économiques (STATEC), le Centre de Recherche Public Henri Tudor et l’Observatoire de la Compétitivité ont organisé les 9 et 10 novembre, dans les locaux du CRP Henri Tudor à Luxembourg-Kirchberg, le second colloque luxembourgeois sur l’économie de la connaissance dans une perspective européenne, intitulé: « En route vers Lisbonne ».

Dans ce contexte, Jean de la Hamette, président du Conseil d’Administration du CRP Henri Tudor a souligné lors de la session d’ouverture du colloque l’importance de cette seconde édition du colloque, l’objectif étant non seulement de passer en revue les résultats des études et analyses faites au Luxembourg, mais également de les confronter au niveau international. « Le colloque est un forum ouvert où se confrontent les idées, un espace de débats et de propositions » a-t-il expliqué.

Viviane Reding, membre de la Commission Européenne, a ensuite évoqué le « paradoxe luxembourgeois » que ce second colloque devrait résoudre : la croissance au Luxembourg est élevée, mais les investissements dans la recherche et le développement sont médiocres. « Au Luxembourg, les technologies de l’information et de la communication (TIC) devraient être une priorité, sans quoi, il n’y a pas de développement durable. Mais le Luxembourg est en train de bouger, les conditions commencent à être favorables. Le Luxembourg a le potentiel de le faire » a-t-elle plaidé, pour conclure.

Le ministre de l’Economie et du Commerce Extérieur, Jeannot Krecké, a ensuite fait le point sur les effets de la mondialisation qui, depuis 2000 et du point de vue de Luxembourg, sont plus palpables qu’auparavant. Il a insisté sur les priorités suivantes : développement des infrastructures, alliance nouvelle pour l’innovation dans les entreprises, moderniser l’enseignement secondaire. Enfin, le rétablissement d’un solde budgétaire structurellement proche de l’équilibre.

Claude Wehenkel, administrateur délégué du CRP Henri Tudor, a ensuite dressé un tableau de la situation six ans après le Sommet européen de Lisbonne. « Plutôt que de se focaliser sur les indicateurs d’entrée (financement de la R&D), il faut s’assurer que la recherche préconisée est efficace et évaluant son impact sur l’innovation », a-t-il expliqué. Pour Claude Wehenkel, il est essentiel de doter le Luxembourg d’un système d’innovation bien conçu : clarté, distinction des missions, séparation du rôle des acteurs, limitation du nombre des acteurs et limitation des couches non productives devraient améliorer les performances globales.

La question des liens entre le capital humain et la croissance a ensuite été abordée par le Directeur du Statec, Serge Allegrezza et par Alain Kirman, professeur à l’Université d’Aix-Marseille. Le premier a plaidé pour une augmentation du taux de scolarisation dans l’enseignement supérieur, condition sine qua non pour construire la société de la connaissance. Le second a pourfendu le mythe français de l’égalité entre toutes les universités en plaidant pour leur hiérarchisation.

En écho à ces deux interventions, André Richier (DG Entreprise et Industries) a mis en exergue les ponts à construire entre les écoles et les entreprises.

Deuxième moment fort du colloque a été la table ronde sur le plan national pour l’innovation et le plein emploi lancée par François Biltgen, Ministre de la Recherche et Ministre du Travail et de l’Emploi, qui a rappelé qu’actuellement 40% des emplois créés au Luxembourg sont des emplois à formation universitaire alors que trois-quart des demandeurs d’emploi inscrits à l’ADEM ont quitté l’école sans diplôme. « Il faut investir dans la formation », a-t-il dit, notamment dans la formation de base de sorte qu’elle soit socialement plus équitable, plus ludique et davantage orientée vers l’application des connaissances, non sans négliger le lifelong learning puisque dans tous les métiers, la formation devient aujourd’hui rapidement obsolète.

Que faire pour adapter les compétences aux besoins de l’économie ? Comment l’école peut-elle inculquer l’esprit d’innovation et d’entreprise aux jeunes ? Comment réduire le taux des laissés pour compte de l’éducation secondaire ? Quel peut être le rôle d’un meilleur recours à l’égalité des chances (bidirectionnelles) pour répondre aux challenges précédents ? Quel rôle pour l’université, les entreprises et les instituts de recherche ?

La table ronde, présidée par Jean-Jacques Mertens, directeur associé de la Direction des projets Industrie et Services de la Banque Européenne d’Investissement, et à laquelle ont participé Pierre Bley, secrétaire général de l’Union des Entreprises Luxembourgeoises, Alex Bodry, député et président de la Commission de l’Economie, de l’Energie, des Postes et des Sports, Lionel Fontagné, professeur à l’Université Paris 1, Panthéon-Sorbonne, Maddy Mulheims, conseillère de gouvernement 1re classe au Ministère de l’Egalité des Chances , Jean-Claude Reding, président de la Chambre des Employés Privés et de l’OGBL, Rolf Tarrach, recteur de l’Université du Luxembourg et Claude Wehenkel, administrateur délégué du CRP Henri Tudor, a tenté de répondre à ces questions.

Plusieurs pistes ont été mises en évidence : le besoin d’un concept interrégional en matière de formation étant donné que plus de la moitié des actifs au Luxembourg sont des frontaliers, la création de passerelles entre les différentes formations et un encadrement social pour l’école afin de réduire les problèmes dus aux inégalités sociales.

Le Plan « pour l'innovation et le plein emploi », a rapidement trouvé un accord entre les participants en raison de son manque « d’innovation ». Au processus d'élaboration technocratique traditionnel, le Député Alex Bodry s’est prononcé en faveur d’une démarche plus ouverte et participative, pour la prochaine mouture, dans deux ans.

Le schéma classique du diplôme a également été remis en cause, d’aucuns lui préférant une reconnaissance accrue des compétences. Anticipation des besoins de l’économie et prise en compte de ces besoins dans l’orientation des jeunes, abandon des stéréo-types hommes/femmes dans l’orientation des élèves étaient au menu du brainstorming. Pédagogie pour les enseignants et recentrage des moyens sur la formation primaire, comme base essentielle de tout cursus scolaire. L’initiative pilote du « Neie Lycée » qui vise à innover en matière de formation a été citée en exemple... Même si les avis divergeaient quelque peu sur la place de l’économie dans la stratégie de Lisbonne et sur la place de l’entreprise dans l’éducation, chacun s’accordait sur la nécessité de réinvestir dans l’enseignement de manière à faire de l’éducation un véritable catalyseur de créativité.

Vendredi matin, recherche, innovation et compétitivité se sont invitées au menu d’une table ronde bien garnie. Georges Schmit, directeur général au Ministère de l’Economie et du Commerce extérieur, a exposé en avant-première les nouvelles mesures en faveur de l’innovation dans les entreprises. Les forces et faiblesses du Luxembourg en termes d’innovation ont été présentées par Carlo Duprel, du Fonds National de la Recherche. Le pays peut se targuer d’éléments solides en matière de recherche et d’un engagement fort des pouvoirs publics. Par contre, il souffre d’un partage des tâches perfectible et des débuts difficiles de l’Université.

En conclusion, cette rencontre entre décideurs et chercheurs a permis, bien souvent de revenir au principe de réalité. Si la tête doit être tournée vers « Lisbonne » et ses objectifs consensuels, les pieds doivent être bien ancrés dans une réalité locale complexe et imprégnée de globalisation. À retenir surtout, modestement, le questionnement sur "notre façon de marcher"? Quelques diagnostics courageux, par leur lucidité, sont plutôt prometteurs.

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